Assassinat de Kennedy: du mystère au mythe
by transcription
LE CONTEXTE
Bienvenue sur Geopolitis. 50 ans, il y a 50 ans déjà que John Fitzgerald Kennedy
a été assassiné. C'était le 22 novembre 1963. Un demi-siècle plus tard, on
n'est toujours pas sûr à 100 % de savoir qui a tué le 35e président des
États-Unis. Pour autant, 50 ans plus tard, le fait est là : il n'y a rien de
nouveau, aucun élément, aucune preuve tendant à démontrer qu'il y aurait eu
complot à Dallas.
Mais il reste le mystère Kennedy et surtout, il reste le mythe Kennedy.
On estime à plus de 3000 le nombre de livres, ouvrages et publications publiés
sur la mort de Kennedy. Et puis, il y a les films, dont le tout dernier,
« Parkland », du réalisateur Peter Landesman, qui revient sur tout ce
qui s'est passé dans cet hôpital Parkland de Dallas entre le moment où le
président, mourant, y est acheminé et le départ du cercueil de John Kennedy
vers Air Force One pour le retour à Washington. Oui, tout a été dit sur ce qui
s'est passé ce 22 novembre, et rien de tout ce qui a été dit n'éclaire les
mystères de Dallas. Geopolitis se
penche sur ce que l'Amérique semble adorer, le mélange du mystère et du mythe.
LE REPORTAGE
Dallas : Mystères et certitudes
En comparaison du film d'Abraham Zapruder, lequel document, on l’a dit, ne dure
que 26 secondes, il faut se souvenir que la commission d'enquête, dite
commission Waren, travaillera, elle, pendant 10 mois, elle auditionnera 552
témoins, dépensera 10 millions de dollars et remettra un rapport final de 888
pages, complété par 26 volumes d'annexes totalisant 16 000 documents, tout
cela pour conclure par les deux affirmations suivantes : un, « les
coups de feu qui ont tué le président Kennedy ont été tirés par Lee Harvey
Oswald », et deux, « la commission », je cite, « n'a trouvé
aucune preuve d'une quelconque conspiration, subversion ou déloyauté au
gouvernement des États-Unis ». En d'autres termes : Oswald est le seul
assassin, et il n'y a pas eu de complot.
Depuis 50 ans, ce sont ces éléments-là qui sont contestés par les tenants de la
thèse de la conspiration. Eux en arrivent à la conclusion que : premièrement,
il n'est matériellement pas possible qu'Oswald ait tiré les 3 coups de feu
successifs, deuxièmement : l'une des balles qui a tué le président était
tirée de face, et non pas de dos, et que, troisièmement : ces seuls faits
démontrent qu'il y avait plus d'un seul tireur et que, par voie de conséquence,
il y a eu complot. Complot ourdi par qui, par quels organismes, de quelle
manière, avec quelles protections ? Personne n'a jamais pu apporter de preuves
sérieuses, concrètes et irréfutables.
Dynastie Kennedy : une malédiction ?
Il est un fait qu'elle est dramatiquement fournie, la chronique des malheurs et
des morts violentes au sein du clan Kennedy. C'est l'histoire de toute une
dynastie, sur 3 générations, et certains ont parlé de malédiction, entre la
mort violente du frère aîné des Kennedy, Joseph, abattu dans son avion de
combat pendant la Dexuième Guerre mondiale, la maladie mentale de la grande
soeur Rosemary, une autre soeur, Kathleen, décédée dans un accident d'avion et
puis l'assassinat de John, le président, en 1963, l’assassinat de son frère
Robert, en 1968, lors de la campagne électorale pour les présidentielles, avec,
un an plus tard, l'accident de Ted Kennedy, l'affaire de
« Chappaquiddick » qui faillit couler sa carrière politique. La mort
de Jackie Kennedy-Onassis donna lieu à des funérailles nationales, et l'émotion
fut très vive en 1999 lorsque John Kennedy junior, le fils du président,
disparut tragiquement avec son épouse à la suite, encore une fois, d'un
accident d'avion au large du domaine familial de Hyannis Port. La 3e
génération ne fut guère épargnée, avec des petits enfants Kennedy morts l'un
d'une overdose, l'autre, dans un accident de ski, un autre encore accusé de
viol.
Malédiction ou pas, il reste, aujourd'hui, plusieurs Kennedy de la 3e
et même de la 4e génération qui sont intéressés par la politique et
qui portent des noms prestigieux, Joseph Kennedy junior, ancien élu au Congrès,
Robert Kennedy junior, homme politique et avocat spécialisé dans le droit de
l'environnement. La dernière Kennedy à avoir fait parler d'elle, c'est Caroline
Kennedy Schlossberg, la fille du président et de Jackie Kennedy, écrivaine et
avocate, que Barack Obama vient de nommer ambassadrice des États-Unis
d'Amérique au Japon. Cela dit, il
devient difficile de garder la trace de l'ensemble du clan. Un dernier
comptage fait état de 85 cousins dans la famille Kennedy.
L’INVITE
XC : Xavier Colin (journaliste de Géopolitis)
BV : Boris Vejdovski (l’invité de l’émission)
L'invité de Geopolitis, Boris Vejdovski qui est maître d’enseignement et de
recherche et de culture et littérature américaine à l'Université de Lausanne
XC : Alors, il y a le mythe, il y a le mystère, les américains aiment l’un
et l’autre, alors quand il y a les deux c’est formidable ! Est-ce que
c’est une particularité américaine ça ?
BV : C’est une valeur fondatrice de la culture américaine cette alliance
du mystère et du mythe, cette alliance du mystérieux et des choses à découvrir
qui sont à l’intérieur de la politique américaine. On en retrouve des exemples
dès le 17 ème siècle et puis à travers toute l’histoire des
États-Unis.
XC : C’est presque dans l’ADN américain ?
BV : C’est dans l’ADN de la
culture américaine, un ADN qui recherche le pur, qui recherche la vérité
absolue et, à partir de là, il y a toujours une part de mystère puisque le pur,
comme on le sait, n’existe pas. Et alors, à force de le rechercher on se
confronte toujours à du caché, à de l’obscur, à du mystérieux, à des forces
occultes qui travaillent de l’intérieur la culture américaine.
XC :
Alors, si on prend l’exemple Kennedy, vous dites on cherche le pur, on cherche
la vérité, mais en fait, on semble se contenter de l’incertitude comme si on en
avait besoin. C’est curieux comme
attitude ?
BV : On ne peut pas avoir de sécurité absolue dans le cas de Kennedy ou
dans un autre cas et par conséquent, l’impossibilité de trouver la vérité
absolue permet aux Américains, en quelque sorte, de justifier la présence de
cette force occulte à l’intérieur, puisque, à force de la chercher on ne la
trouve pas, ce qui confirme sa présence.
XC :
Mais on a l’impression qu’elle existe réellement et qu’elle peut justifier
certaines choses ?
BV : Absolument. Puisque la ...
euh, la preuve qu’elle est occulte c’est qu’on la cherche, qu’on met tout
en œuvre, que des gens extrêmement…
XC : On l’entretient.
BV : On l’entretient en ne la trouvant pas.
XC : On fond, ce qui pourrait arriver de pire aux Américains c’est que
l’on sache toute la vérité. Par exemple, sur l’affaire Kennedy mais sur Marylin
Monroe ? Ils ne le souhaiteraient pas en fait ?
BV : Ca serait épouvantable ! ça serait la fin du mythe, n’est-ce
pas. John Ford disait ça : « quand l’histoire rattrape la légende,
publiez la légende ! »
XC : Quand l’histoire rattrape la légende ?
BV : Publiez la légende !
XC : Et alors on préfère la légende à l’histoire ?
BV : On préfère la légende dans le sens où elle est motrice, où elle fait
avancer l’histoire américaine. Une histoire où on révélerait les tenants et les
aboutissants de tout et bien, arrêterait l’histoire !
XC : Qu’est-ce qui fait que les Américains sont sur cette longueur d’ondes
là et pas les Européens ?
BV : Je pense que c’est quelque chose qui fonde la culture, il y a cette
herméneutique du doute. Il faut douter.
XC : C’est quoi l’herméneutique ?
BV : L’herméneutique c’est la science qui cherche à savoir. Dans le cas
américain, c’est le doute qui alimente cette herméneutique. Je ne sais
jamais et donc il faut que je cherche toujours plus loin.
XC : On l’a dit, le mystère nourrit le mythe, à moins que ça soit
l’inverse, c’est peut-être le mythe qui lui aussi nourrit le mystère,
non ?
BV : On part toujours d’une situation d’incertitude, de ce doute. À partir
de là, les vérités que l’on arrive à établir, puisqu’on ne peut pas les établir
de façon, disons, scientifique ou historique, et bien elles auront toujours
cette part mythologique.
XC : Est-ce que les présidents américains eux aussi pratiquent aussi cette
science-là, je sais pas, en remontant jusqu’à Lincoln ?
BV : Oh il n’y a pas besoin de remonter à Lincoln. Il suffit de voir le
président actuel, Barack Obama, il s’appuie sur tous les mythes, vous avez cité
Lincoln, et bien Lincoln revient sans cesse dans ses discours, soit par
allusion soit par formule rhétorique.
XC : Obama, par exemple,
qu’est-ce qu’il dit qui va dans ce sens-là ?
BV : Oh il s’appuie sur le rêve américain, sur la nécessité de la refonte,
de la renaissance de la Nation. Ces discours sont émaillés de citations
lincolniennes pour, précisément, s’emparer d’une part de ce mythe et s’inscrire
dans cette trajectoire-là.
XC : Un mot encore sur Kennedy. Ne parlons pas du mystère lui-même, mais
du mythe, il est encore intact ? En
dépit de quelques révélations récentes notamment sur la vie sexuelle du
président ? Le mythe il existe encore ?
BV : Le mythe existe toujours, mais il est de plus en plus écorné en
quelque sorte. Mais il subsiste en tant que force motrice de l’Histoire. On
saura probablement un jour que Kennedy n’était pas cette figure de saint qu’on
a parfois cherché à en faire, mais au point de vue de ce qu’il a apporté, d’un
point de vue historique et narratif alors il est très important.
XC :
Il n’y a pas beaucoup d’autres présidents qui puissent avoir cette étiquette de
mythique. Alors lui a été assassiné j’entends bien, mais il y a d’autres
présidents assassinés, McKinley euh tout ça… eux ne sont pas restés des
personnages mythiques.
BV : Tout à fait. On voit bien qu’il y a dans l’histoire américaine
certains présidents qui, à un moment donné, cristallisent en quelque sorte
l’énergie du pays. Alors, c’est le cas de Lincoln, c’est naturellement le cas
de certains des pères fondateurs, c’est le cas de Franklin Roosevelt, ce sera
peut-être le cas d’Obama.
XC : Pourquoi resterait-il un
personnage mythique ? Parce que lui il n’y a pas de mystère si j’ose dire.
BV : Non, il n’y a pas de mystère et on vient à se demander si un jour on
en trouvera un, mais je pense qu’Obama ouvre des possibilités dans l’histoire
américaine qui étaient jusque-là restées fermées euh, pour l’expression des
minorités, pour l’accès à la démocratie de certaines populations. Je pense que
de ce point de vue là, c’est un travail de longue haleine qui le fait entrer
probablement ou possiblement dans l’Histoire et qui lui donnera peut-être un
statut de mythe un jour.
XC : Alors dans 50 ans on se retrouvera, on fera un numéro de Géopolitis
sur les 100 ans de l’assassinat de Kennedy.
BV : Je me réjouis de faire ce numéro-là ?
XC : Merci, Boris Vejdovski, je rappelle que vous êtes maître
d’enseignement et de recherche de culture et littérature américaine à
l'Université de Lausanne. Merci à vous !
BV : Merci Xavier.
L’EDITO
Dans 50 ans, on voudra sans doute marquer les 100 ans de l'assassinat de John
Kennedy. Et il y a fort à parier que,
en l'an 2063, on n'en saura guère plus sur ces événements tragiques de Dallas.
On ne voit pas très bien quel type de document jusqu'ici secret, quel genre de
confession jusqu'ici cachée ou quel moyen de preuve jusqu'ici dissimulée
viendraient éclairer d'un jour nouveau cette journée du 22 novembre. Il y a toujours
cette possibilité que quelques documents tellement secrets qu'on les aurait
oubliés pourraient être déclassifiés, comme on dit, certains entrant dans la
catégorie des archives à ne pas consulter pendant 70 ans.
Pour autant, d'ici là, et bien, rien
n'empêchera toutes sortes d'articles, de livres, de films ou de feuilletons
télé, de relancer la polémique. Ce seront là autant d'ingrédients de nature à
alimenter le mythe et le mystère Kennedy. Au fond, c'est mieux ainsi. Un mystère qui se dissiperait, ce serait, par voie
de conséquence, un mythe qui s'effondrerait. L'histoire du monde ne s'est-elle
pas, elle aussi, à l'image de l'histoire de l'Amérique, complaisamment nourrie
de ce mélange durable fait de mystères et de mythes ?
Et sur la page Web de Geopolitis, préparée par David Nicole, vous pouvez réagir
à cette émission et la commenter. À votre disposition, tout un ensemble
d'extraits vidéo, de sites internet, d'infographie et d'archives. Comme
toujours, la possibilité de podcaster cette émission de la RTS. Et vous êtes
toujours les bienvenus sur Geopolitis.
On reprend les faits : ce matin du 22 novembre, un homme se poste sur un petit
muret d'où il surplombe Elm Street, là où va passer le cortège présidentiel.
Son nom : Abraham Zapruder, il est tailleur de métier, il vient d'acheter ce
qui se fait de mieux à l'époque en matière de caméra, une Bell & Howell
414. C'est la première fois qu'il va s'en servir. Il est 12 h 29. Ce
que Zapruder va filmer deviendra la séquence la plus vue de l'histoire. 26 secondes, 486
images, sans le son. Pour la première fois, on voit un chef d'État se faire
assassiner.
EXTRAIT FILM ZAPRUDER
Zapruder n'aura donc pas arrêté de filmer, en dépit des coups de feu et de la
panique. Et c'est le magazine LIFE qui va acheter le film, pour 150 000
dollars. Cela dit, pour historique qu'il
soit, le film d'Abraham Zapruder n'apporte pas de démonstration, encore moins
de preuve, sur l'assassinat lui-même. Y avait-il un autre tireur que Lee Harvey
Oswald ? Le président est- il mort d'une balle qui lui a été tirée dans la tête
de face, ou de dos ? 50 ans plus tard, ce sont toujours les mêmes questions qui
se posent. Ce qui est vrai, c'est que, en ce jour du 22 novembre, en décédant
dans de telles circonstances, John Kennedy est devenu un personnage pour
l'Histoire. Et c'est après sa mort, certainement pas avant, qu'on a décrété que
tout ce que le président avait fait et dit méritait d'être inscrit dans les
livres d'Histoire. Un exemple, cette fameuse adresse au peuple américain que le
président tout nouvellement élu lançait le jour même de sa prestation de
serment.
EXTRAIT DISCOURS KENNEDY
Traduction : Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez
ce que vous pouvez faire pour votre pays. Autre phrase pour l'Histoire, ce que
devait dire Jackie Kennedy peu de temps après l'assassinat du président :
"Je veux que le pays sache ce qu'ils ont fait à mon mari "! Une phrase qui,
semble-t-il, a été prononcée dans l'avion présidentiel, Air Force One, dans
lequel Lyndon Johnson allait prêter serment sur la Bible. En ce soir du 22 novembre 1963, le mystère Kennedy
débutait. Le mythe Kennedy aussi.
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