Assassinat de Kennedy: du mystère au mythe

by transcription

Jan 27, 2014

LE CONTEXTE
 
Bienvenue sur Geopolitis.
50 ans, il y a 50 ans déjà que John Fitzgerald Kennedy a été assassiné. C'était le 22 novembre 1963. Un demi-siècle plus tard, on n'est toujours pas sûr à 100 % de savoir qui a tué le 35e président des États-Unis. Pour autant, 50 ans plus tard, le fait est là : il n'y a rien de nouveau, aucun élément, aucune preuve tendant à démontrer qu'il y aurait eu complot à Dallas. Mais il reste le mystère Kennedy et surtout, il reste le mythe Kennedy.
 
On estime à plus de 3000 le nombre de livres, ouvrages et publications publiés sur la mort de Kennedy. Et puis, il y a les films, dont le tout dernier, « Parkland », du réalisateur Peter Landesman, qui revient sur tout ce qui s'est passé dans cet hôpital Parkland de Dallas entre le moment où le président, mourant, y est acheminé et le départ du cercueil de John Kennedy vers Air Force One pour le retour à Washington. Oui, tout a été dit sur ce qui s'est passé ce 22 novembre, et rien de tout ce qui a été dit n'éclaire les mystères de Dallas.
Geopolitis se penche sur ce que l'Amérique semble adorer, le mélange du mystère et du mythe.


LE REPORTAGE
 
Dallas : Mystères et certitudes
 
En comparaison du film d'Abraham Zapruder, lequel document, on l’a dit, ne dure que 26 secondes, il faut se souvenir que la commission d'enquête, dite commission Waren, travaillera, elle, pendant 10 mois, elle auditionnera 552 témoins, dépensera 10 millions de dollars et remettra un rapport final de 888 pages, complété par 26 volumes d'annexes totalisant 16 000 documents, tout cela pour conclure par les deux affirmations suivantes : un, « les coups de feu qui ont tué le président Kennedy ont été tirés par Lee Harvey Oswald », et deux, « la commission », je cite, « n'a trouvé aucune preuve d'une quelconque conspiration, subversion ou déloyauté au gouvernement des États-Unis ». En d'autres termes : Oswald est le seul assassin, et il n'y a pas eu de complot.
 
Depuis 50 ans, ce sont ces éléments-là qui sont contestés par les tenants de la thèse de la conspiration. Eux en arrivent à la conclusion que : premièrement, il n'est matériellement pas possible qu'Oswald ait tiré les 3 coups de feu successifs, deuxièmement : l'une des balles qui a tué le président était tirée de face, et non pas de dos, et que, troisièmement : ces seuls faits démontrent qu'il y avait plus d'un seul tireur et que, par voie de conséquence, il y a eu complot. Complot ourdi par qui, par quels organismes, de quelle manière, avec quelles protections ? Personne n'a jamais pu apporter de preuves sérieuses, concrètes et irréfutables.
 
 
Dynastie Kennedy : une malédiction ?
 
Il est un fait qu'elle est dramatiquement fournie, la chronique des malheurs et des morts violentes au sein du clan Kennedy. C'est l'histoire de toute une dynastie, sur 3 générations, et certains ont parlé de malédiction, entre la mort violente du frère aîné des Kennedy, Joseph, abattu dans son avion de combat pendant la Dexuième Guerre mondiale, la maladie mentale de la grande soeur Rosemary, une autre soeur, Kathleen, décédée dans un accident d'avion et puis l'assassinat de John, le président, en 1963, l’assassinat de son frère Robert, en 1968, lors de la campagne électorale pour les présidentielles, avec, un an plus tard, l'accident de Ted Kennedy, l'affaire de « Chappaquiddick » qui faillit couler sa carrière politique. La mort de Jackie Kennedy-Onassis donna lieu à des funérailles nationales, et l'émotion fut très vive en 1999 lorsque John Kennedy junior, le fils du président, disparut tragiquement avec son épouse à la suite, encore une fois, d'un accident d'avion au large du domaine familial de Hyannis Port. La 3e génération ne fut guère épargnée, avec des petits enfants Kennedy morts l'un d'une overdose, l'autre, dans un accident de ski, un autre encore accusé de viol.
 
Malédiction ou pas, il reste, aujourd'hui, plusieurs Kennedy de la 3e et même de la 4e génération qui sont intéressés par la politique et qui portent des noms prestigieux, Joseph Kennedy junior, ancien élu au Congrès, Robert Kennedy junior, homme politique et avocat spécialisé dans le droit de l'environnement. La dernière Kennedy à avoir fait parler d'elle, c'est Caroline Kennedy Schlossberg, la fille du président et de Jackie Kennedy, écrivaine et avocate, que Barack Obama vient de nommer ambassadrice des États-Unis d'Amérique au Japon.
Cela dit, il devient difficile de garder la trace de l'ensemble du clan. Un dernier comptage fait état de 85 cousins dans la famille Kennedy.


L’INVITE
 
XC : Xavier Colin (journaliste de Géopolitis)
BV : Boris Vejdovski (l’invité de l’émission)
 
L'invité de Geopolitis, Boris Vejdovski qui est maître d’enseignement et de recherche et de culture et littérature américaine à l'Université de Lausanne
 
XC : Alors, il y a le mythe, il y a le mystère, les américains aiment l’un et l’autre, alors quand il y a les deux c’est formidable ! Est-ce que c’est une particularité américaine ça ?
 
BV : C’est une valeur fondatrice de la culture américaine cette alliance du mystère et du mythe, cette alliance du mystérieux et des choses à découvrir qui sont à l’intérieur de la politique américaine. On en retrouve des exemples dès le 17 ème siècle et puis à travers toute l’histoire des États-Unis.
 
XC : C’est presque dans l’ADN américain ?
 
BV : C’est dans l’ADN de la culture américaine, un ADN qui recherche le pur, qui recherche la vérité absolue et, à partir de là, il y a toujours une part de mystère puisque le pur, comme on le sait, n’existe pas. Et alors, à force de le rechercher on se confronte toujours à du caché, à de l’obscur, à du mystérieux, à des forces occultes qui travaillent de l’intérieur la culture américaine.
 
XC : Alors, si on prend l’exemple Kennedy, vous dites on cherche le pur, on cherche la vérité, mais en fait, on semble se contenter de l’incertitude comme si on en avait besoin. C’est curieux comme attitude ?
 
BV : On ne peut pas avoir de sécurité absolue dans le cas de Kennedy ou dans un autre cas et par conséquent, l’impossibilité de trouver la vérité absolue permet aux Américains, en quelque sorte, de justifier la présence de cette force occulte à l’intérieur, puisque, à force de la chercher on ne la trouve pas, ce qui confirme sa présence.
 
XC : Mais on a l’impression qu’elle existe réellement et qu’elle peut justifier certaines choses ?
 
BV : Absolument. Puisque la ... euh,  la preuve qu’elle est occulte c’est qu’on la cherche, qu’on met tout en œuvre, que des gens extrêmement…
 
XC : On l’entretient.
 
BV : On l’entretient en ne la trouvant pas.
 
XC : On fond, ce qui pourrait arriver de pire aux Américains c’est que l’on sache toute la vérité. Par exemple, sur l’affaire Kennedy mais sur Marylin Monroe ? Ils ne le souhaiteraient pas en fait ?
 
BV : Ca serait épouvantable ! ça serait la fin du mythe, n’est-ce pas. John Ford disait ça : « quand l’histoire rattrape la légende, publiez la légende ! »
 
XC : Quand l’histoire rattrape la légende ?
 
BV : Publiez la légende !
 
XC : Et alors on préfère la légende à l’histoire ?
 
BV : On préfère la légende dans le sens où elle est motrice, où elle fait avancer l’histoire américaine. Une histoire où on révélerait les tenants et les aboutissants de tout et bien, arrêterait l’histoire !
 
XC : Qu’est-ce qui fait que les Américains sont sur cette longueur d’ondes là et pas les Européens ?
 
BV : Je pense que c’est quelque chose qui fonde la culture, il y a cette herméneutique du doute. Il faut douter.
 
XC : C’est quoi l’herméneutique ?
 
BV : L’herméneutique c’est la science qui cherche à savoir. Dans le cas américain, c’est le doute qui alimente cette herméneutique.
Je ne sais jamais et donc il faut que je cherche toujours plus loin.
 
XC : On l’a dit, le mystère nourrit le mythe, à moins que ça soit l’inverse, c’est peut-être le mythe qui lui aussi nourrit le mystère, non ?
 
BV : On part toujours d’une situation d’incertitude, de ce doute. À partir de là, les vérités que l’on arrive à établir, puisqu’on ne peut pas les établir de façon, disons, scientifique ou historique, et bien elles auront toujours cette part mythologique.
 
XC : Est-ce que les présidents américains eux aussi pratiquent aussi cette science-là, je sais pas, en remontant jusqu’à Lincoln ?
 
BV : Oh il n’y a pas besoin de remonter à Lincoln. Il suffit de voir le président actuel, Barack Obama, il s’appuie sur tous les mythes, vous avez cité Lincoln, et bien Lincoln revient sans cesse dans ses discours, soit par allusion soit par formule rhétorique.
 
XC : Obama, par exemple, qu’est-ce qu’il dit qui va dans ce sens-là ?
 
BV : Oh il s’appuie sur le rêve américain, sur la nécessité de la refonte, de la renaissance de la Nation.
Ces discours sont émaillés de citations lincolniennes pour, précisément, s’emparer d’une part de ce mythe et s’inscrire dans cette trajectoire-là.
 
XC : Un mot encore sur Kennedy. Ne parlons pas du mystère lui-même, mais du mythe, il est encore intact ?
En dépit de quelques révélations récentes notamment sur la vie sexuelle du président ? Le mythe il existe encore ?
 
BV : Le mythe existe toujours, mais il est de plus en plus écorné en quelque sorte. Mais il subsiste en tant que force motrice de l’Histoire. On saura probablement un jour que Kennedy n’était pas cette figure de saint qu’on a parfois cherché à en faire, mais au point de vue de ce qu’il a apporté, d’un point de vue historique et narratif alors il est très important.
 
XC : Il n’y a pas beaucoup d’autres présidents qui puissent avoir cette étiquette de mythique. Alors lui a été assassiné j’entends bien, mais il y a d’autres présidents assassinés, McKinley euh tout ça… eux ne sont pas restés des personnages mythiques.
 
BV : Tout à fait. On voit bien qu’il y a dans l’histoire américaine certains présidents qui, à un moment donné, cristallisent en quelque sorte l’énergie du pays. Alors, c’est le cas de Lincoln, c’est naturellement le cas de certains des pères fondateurs, c’est le cas de Franklin Roosevelt, ce sera peut-être le cas d’Obama.
 
XC : Pourquoi resterait-il un personnage mythique ? Parce que lui il n’y a pas de mystère si j’ose dire.
 
BV : Non, il n’y a pas de mystère et on vient à se demander si un jour on en trouvera un, mais je pense qu’Obama ouvre des possibilités dans l’histoire américaine qui étaient jusque-là restées fermées euh, pour l’expression des minorités, pour l’accès à la démocratie de certaines populations. Je pense que de ce point de vue là, c’est un travail de longue haleine qui le fait entrer probablement ou possiblement dans l’Histoire et qui lui donnera peut-être un statut de mythe un jour.
 
XC : Alors dans 50 ans on se retrouvera, on fera un numéro de Géopolitis sur les 100 ans de l’assassinat de Kennedy.
 
BV : Je me réjouis de faire ce numéro-là ?
 
XC : Merci, Boris Vejdovski, je rappelle que vous êtes maître d’enseignement et de recherche de culture et littérature américaine à l'Université de Lausanne.
Merci à vous !
 
BV : Merci Xavier.


L’EDITO
 
Dans 50 ans, on voudra sans doute marquer les 100 ans de l'assassinat de John Kennedy.
Et il y a fort à parier que, en l'an 2063, on n'en saura guère plus sur ces événements tragiques de Dallas. On ne voit pas très bien quel type de document jusqu'ici secret, quel genre de confession jusqu'ici cachée ou quel moyen de preuve jusqu'ici dissimulée viendraient éclairer d'un jour nouveau cette journée du 22 novembre. Il y a toujours cette possibilité que quelques documents tellement secrets qu'on les aurait oubliés pourraient être déclassifiés, comme on dit, certains entrant dans la catégorie des archives à ne pas consulter pendant 70 ans.
Pour autant, d'ici là, et bien, rien n'empêchera toutes sortes d'articles, de livres, de films ou de feuilletons télé, de relancer la polémique. Ce seront là autant d'ingrédients de nature à alimenter le mythe et le mystère Kennedy. Au fond, c'est mieux ainsi. Un mystère qui se dissiperait, ce serait, par voie de conséquence, un mythe qui s'effondrerait. L'histoire du monde ne s'est-elle pas, elle aussi, à l'image de l'histoire de l'Amérique, complaisamment nourrie de ce mélange durable fait de mystères et de mythes ?
 
Et sur la page Web de Geopolitis, préparée par David Nicole, vous pouvez réagir à cette émission et la commenter. À votre disposition, tout un ensemble d'extraits vidéo, de sites internet, d'infographie et d'archives. Comme toujours, la possibilité de podcaster cette émission de la RTS. Et vous êtes toujours les bienvenus sur Geopolitis.



 
On reprend les faits : ce matin du 22 novembre, un homme se poste sur un petit muret d'où il surplombe Elm Street, là où va passer le cortège présidentiel. Son nom : Abraham Zapruder, il est tailleur de métier, il vient d'acheter ce qui se fait de mieux à l'époque en matière de caméra, une Bell & Howell 414. C'est la première fois qu'il va s'en servir. Il est 12 h 29. Ce que Zapruder va filmer deviendra la séquence la plus vue de l'histoire.
26 secondes, 486 images, sans le son. Pour la première fois, on voit un chef d'État se faire assassiner.
 
EXTRAIT FILM ZAPRUDER
 
Zapruder n'aura donc pas arrêté de filmer, en dépit des coups de feu et de la panique.
Et c'est le magazine LIFE qui va acheter le film, pour 150 000 dollars. Cela dit, pour historique qu'il soit, le film d'Abraham Zapruder n'apporte pas de démonstration, encore moins de preuve, sur l'assassinat lui-même. Y avait-il un autre tireur que Lee Harvey Oswald ? Le président est- il mort d'une balle qui lui a été tirée dans la tête de face, ou de dos ? 50 ans plus tard, ce sont toujours les mêmes questions qui se posent. Ce qui est vrai, c'est que, en ce jour du 22 novembre, en décédant dans de telles circonstances, John Kennedy est devenu un personnage pour l'Histoire. Et c'est après sa mort, certainement pas avant, qu'on a décrété que tout ce que le président avait fait et dit méritait d'être inscrit dans les livres d'Histoire. Un exemple, cette fameuse adresse au peuple américain que le président tout nouvellement élu lançait le jour même de sa prestation de serment.
 
EXTRAIT DISCOURS KENNEDY
 
Traduction : Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays. Autre phrase pour l'Histoire, ce que devait dire Jackie Kennedy peu de temps après l'assassinat du président : "Je veux que le pays sache ce qu'ils ont fait à mon mari "!
Une phrase qui, semble-t-il, a été prononcée dans l'avion présidentiel, Air Force One, dans lequel Lyndon Johnson allait prêter serment sur la Bible. En ce soir du 22 novembre 1963, le mystère Kennedy débutait. Le mythe Kennedy aussi.

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